De quoi cherche-t-on à convaincre ?
D’un point de vue, d’une thèse d’une opinion que l’on a soi-même et que l’on a envie de faire partager à d’autres. L’opinion n’est ni fait ni un sentiment.
Où rencontre-t-on des opinions ?
Les conflits d’intérêt dans l’espace public (voisins, ceux avec qui nous partageons un même territoire)
Les situations professionnelles, lorsque nous sommes amenés à donner notre avis au travail
Les débats de société, ou se prépare le cadre législatif de demain
Le domaine du politique, c’est-à-dire les décisions qui concernent la cité, la région ou la nation
L’espace judiciaire, là où se règlent les conflits, où se maintient l’ordre public et où se régulent les mœurs
Le champs des relations privées, où, avec son conjoint, ses amis, ses proches, on est amenés à décider ensemble pour agir en commun
Le vaste domaine du marché de la consommation de la vente, de l’achat, de la publicité
(Philippe Breton)
Un exercice difficile
Convaincre est difficile car chacun est attaché à ses opinions. Elles structurent notre identité. Convaincre, c’est donc nécessairement bouleverser des équilibres et les représentations. Accepter l’opinion d’autrui, se laisser convaincre, c’est aussi perdre d’une certaine manière une partie de soi, de son identité, de son autonomie de penser et consentir à son interlocuteur un pouvoir.
Une compétence démocratique
« L’opinion, c’est-à-dire ce qui est discutable et débattu n’existe pas dans les régimes totalitaires. Là, c’est la vérité d’un seul, ou d’un parti, qui s’impose à tous, en général par la coercition physique et la propagande, qui est de la coercition mentale. Convaincre, c’est-à-dire proposer aux autres de partager l’opinion qu’on leur soumet, est une activité qui se déploie pleinement dans la démocratie.
« L’invention démocratique est une manière de déployer la parole, de la transformer en action. Convaincre quelqu’un, c’est agir sur lui avec la parole. La parole pour convaincre, est une force qui n’engendre pas de domination. La démocratie est une manière de s’affronter pacifiquement. Le principe matériel de la démocratie est la symétrie entre les personnes, qui se traduit concrètement par l’égalité reconnue de la parole de chacun. Ce principe de symétrie dans la parole à des conséquences très importantes dans la manière dont nous nous adressons aux autres pour les convaincre. »
(Philippe Breton, Convaincre sans manipuler, apprendre à argumenter, La découverte, 2015, p.23)
La rhétorique ou l'art de convaincre⚓
On peut définir la rhétorique comme l’art de convaincre c’est-à-dire d’obtenir l’adhésion à une thèse, une opinion que l’on défend. C’est « l’ensemble des procédés discursifs permettant de susciter ou de renforcer (ex : meeting, partisans) l’adhésion des individus aux propositions qu’on leur soumet. »
La rhétorique se concentre sur les procédés discursifs, le discours dans toutes ses dimensions : orales, et écrites, verbales et non verbales. Avocats, publicitaires, communicants, journalistes, responsables politiques et syndicaux : tous ont fait de l’art de convaincre une profession.
Un pouvoir
Connaissance, habileté de langage, art, la rhétorique est d’abord et surtout un pouvoir d’influencer les individus, d’infléchir leurs pensées, d’orienter leurs comportements. Pouvoir sur autrui, mais aussi sur la société : faire prévaloir son idéologie, son point de vue ou sa volonté. Derrière la rhétorique il y a un enjeu politique et démocratique.
« A l’instant de l’élection les électeurs disposent de la capacité de faire un choix entre plusieurs candidats, cela n’est pas rien. Encore faut-il que les citoyens soient en mesure de prendre des décisions éclairées. Or le langage n’est jamais transparent, la communication n’est jamais univoque, un message possède toujours une part d’ambiguïté ».
La rhétorique est donc un pouvoir à double titre que tout citoyen ne peut se permettre d’ignorer :
Pouvoir de défendre ses idées, d’influencer et d’agir dans la société. Et pouvoir de ne pas subir, d’être capable de décrypter un discours, de renforcer son esprit critique et de se forger sa propre opinion.
Un art
Parmi les outils à sa disposition, nous l’avons vu, la rhétorique utilise le raisonnement. Mais l’argumentation rhétorique ne s’interdit pas d’employer également l’émotion et la séduction comme levier de la conviction. En ce sens la rhétorique est aussi un art avec ses techniques, ses outils et ses habillages esthétiques.
Distinctions⚓
Rhétorique et éloquence
« L’éloquence, c’est l’art de bien parler. De séduire son auditoire. De flatter ses oreilles par un vocabulaire singulier, des phrases ciselées, une prononciation inspirée. C’est l’art de s’exprimer avec style, grâce et virtuosité : comédiens, conteurs, poètes, leurs paroles est une mélopée avec laquelle ils charment l’auditoire. » (Clément Viktorovitch, op. cit.)
L’éloquence c’est un spectacle, une représentation qui est offerte au oreilles du public, or elle n’est pourtant pas nécessairement mise au service d’un projet rhétorique, mais plutôt d’une visée artistique dont l’objectif n’est pas de convaincre, mais d’émouvoir, de surprendre, faire rire ou pleurer.
A l’inverse, pratiquer la rhétorique ne suppose pas nécessairement d’être éloquent, une parole maladroite mais authentique, peut convaincre et toucher davantage son auditoire.
Rhétorique et éloquence se recouvrent partiellement sans se confondre pour autant
Rhétorique et stylistique
La stylistique c’est l’étude des figures de style. « S’il est vrai que les figures de style sont des outils fréquemment mobilisés par la rhétorique, ils ne sont que cela, des outils. Peu importe au fond d’être capable de distinguer une allitération d’une assonance, ce qui compte pour nous c’est de connaître les effets argumentatifs produits par ces figures et comprendre en quoi elles ont un impact sur les auditeurs.
La rhétorique utilise des procédés stylistiques, mais ne s’y réduit pas, elle les mobilise au profit d’un projet bien plus spécifique : convaincre »
Les trois dimensions de la rhétorique⚓
Aristote
Pour Aristote la rhétorique repose tout entière sur trois dimensions :
LOGOS : les arguments que l’orateur propose
ETHOS : l’image que l’orateur renvoie
PATHOS : les émotions que l’orateur suscite
Cicéron
un bon orateur doit remplir trois objectifs
Docere : instruire les auditeurs
Delectare : se concilier leur bienveillance
Movere : leur faire ressentir des émotions
On peut résumer les trois fonctions majeures de la rhétorique par :
ARGUMENTER / PLAIRE / EMOUVOIR
L'Ethos et l'effet de halo
Contrairement au pathos et au logos, l'éthos n'est pas lié au contenu du discours mais se concentre sur le locuteur, l'image ou l'aura qu'il renvoie ainsi que la manière dont il met en scène son discours. L'éthos joue un rôle implicite beaucoup plus important qu'il n'y parait.
« L'effet de halo a été identifié dès les années 1920 par le psychologue américain Edward Thorndike. Il désigne notre tendance naturelle, lorsque nous cherchons à établir notre jugement sur un individu, à laisser notre attention être captée par une ou plusieurs caractéristiques marquantes, qui rayonnent et viennent colorer l'entière perception que nous avons de lui. C'est pour cela qu'on parle d'un halo, qui peut-être aussi bien mélioratif que dépréciatif. Comme le note Daniel Kahneman, l'effet de halo nous pousse à faire correspondre toutes les qualités d'une personne au jugement que nous avions d'un attribut particulièrement significatif. Cela revient, concrètement, à nous reposer sur des stéréotypes pour établir notre opinion.
Plusieurs études on montré que le simple fait de porter des lunettes amenait nos interlocuteurs à nous considérer comme plus intelligents, plus travailleurs et, donc, plus compétents. Revers de la médaille : nous en paraissons également moins populaires, moins ouverts et moins athlétiques. [...]
En 2005, le psychologue Alexander Todorov et son équipe publient les résultats d'une expérience troublante. Elle utilise les résultats des élections parlementaires américaines, où chaque circonscription est le théâtre d'un duel entre un démocrate et un républicain. Les chercheurs ont placé côte à côte par paires, les portraits de candidats s'étant effectivement affronté de 2000, 2002 ou 2004. Ces couples de photos sont ensuite présentés à des participants volontaires, dont on vérifie d'abord qu'ils ne connaissent ni l'un ni l'autre de ces responsables locaux. Puis on leur pose la question suivante : « Laquelle de ces deux personnes vous semble la plus compétente ? » Les résultats sont impressionnants. Dans la majorité des des cas, l'individu jugé spontanément le compétent est, aussi, celui qui a effectivement gagné l'élection.
Cette expérience a été reproduite, avec succès, à de nombreuses reprises. La conclusion à en tirer est implacable : les personnes dont les traits du visage dégagent une forte impression de compétence ont significativement plus de chance de remporter l'élection. » (Clément Viktorovitch, op. cit. p. 299-300)
Que nous le voulions ou non, les biais cognitifs tel que l'effet de halo, influencent notre jugement de façon discriminante : taille, hauteur de la voix, présentation vestimentaire, beauté physique (sympathie, innocence : mythe de Phryné). S'il est difficile d'infléchir les attributs physiques, il est en revanche possible d'agir sur les attributs vestimentaires, sa posture, la façon de poser sa voix, sa gestuelle, son élocution, son assurance, la confiance en soi, etc..
Le théâtre, par les exercices qu'il propose, permet en ce sens d'effectuer un travail en profondeur pour façonner l'image de soi : gestuelle, maitrise du corps, intonation, expression verbale et non verbale.
Les protagonistes ⚓
Auditeurs et spectateurs
Auditoire : l’ensemble de ceux sur lesquels l’orateur veut influer par son argumentation, les individus que nous cherchons à convaincre, à l’oral comme à l’écrit.
Spectateurs : assistent à une entreprise de conviction sans en être l’objet. Témoins des échanges.
Exemple :
Dans un procès,
Auditeurs = juge et jurés
Spectateurs = les personnes qui viennent observer depuis les bancs de la salle mais n’ont aucune influence sur le jugement.
Orateurs et interlocuteurs
Les orateurs sont les individus qui cherchent à convaincre (à l’oral, comme à l’écrit)
Exemple :
Dans un procès ce sont les avocats, les victimes, les accusés, parfois les témoins (cela dépend de leur intention de vouloir convaincre ou pas)
Lorsque deux orateurs interagissent, ils deviennent des interlocuteurs.
Par exemple : deux avocats, deux polémistes qui s’affrontent lors d’un débat télévisé, deux amis qui se chamaillent sur le choix d’un restaurant
Les interlocuteurs peuvent être aussi asynchrone comme par exemple, les candidats lors d’une élection qui se répondent par plateaux interposés (TV ou Radio, meeting, conférence de presse)
Le protocole de préparation d’un discours⚓
La tradition rhétorique distingue traditionnellement quatre étapes à la préparation d'un discours :
L’invention
L’élocution
La disposition
L’action
L’invention
Se demander à qui l’on s’adresse pour trouver un angle d’approche et des points d’appui adaptés.
Empathie : connaitre le point de vue de l’interlocuteur ou de l’auditeur pour composer avec. Argumenter c’est partir de l’auditoire pour lui proposer de faire le chemin qui le rapproche de l’opinion que je lui propose. (déterminer l’angle). Le point d’appui c’est un élément auquel l’auditoire est très attaché. Le travail de préparation de l’argumentation a pour objet , dans la phase d’invention, d’identifier ce point d’appui, afin de pouvoir construire, à partir de là, une argumentation. La rhétorique doit identifier et ancrer son discours dans les valeurs auxquelles sont attachées l’auditoire
L’élocution
Déterminer Les tournures, les figures et le type d’arguments que l’on va employer en fonction du public auquel on s’adresse.
L’idéal est stratégiquement de tout faire pour suggérer le raisonnement afin que l’auditoire le fasse lui-même et ainsi le reprenne à son compte. C’est ce que permet l’analogie, qui est brève, condensée et surtout suggestive
La disposition
Organiser la prise de parole dans le temps. Par quoi dois-je commencer, quels arguments doivent être mis au début et quels autres à la fin
L’action
Anticiper les conditions matérielles, spatiales, mais également la présentation de soi.
Introduire et conclure sa prise de parole⚓
L’exorde
« L'exorde est une accroche qui permet d'attirer l'attention de l'auditoire au moment de prendre la parole. « s'il faut capter l'attention de l'auditoire, c'est qu'il ne vous écoute pas spontanément et que la parole est tributaire de l'écoute dont elle est l'objet.[...] l'exorde est comme un grapin, qui s'il est mal accroché, fera basculer l'édifice tout entier. L'orateur ne tient souvent qu'à un fil et l'exorde a intérêt à être solide. » (Philippe Breton, Convaincre sans manipuler, p.109)
Plusieurs types d'accroches :
Voici quelques exemples de procédés décrits par Clément Viktorovitch
l'accroche descriptive : commenter le contexte de son intervention (ce type d'accroche n'est pas très efficace) : « on m'a demandé d'intervenir dans le cadre de... pour.... , alors me voilà devant vous.... »
La citation : untel disait .... C'est une accroche classique où l'on s'appuie sur les paroles d'une personne illustre pour ancrer son discours.
La question rhétorique : figure de style consistant à se poser une question à soi même : « au fond qu'est ce que ...., avons nous jamais été.... ? » Ce procédé a le mérite de susciter immédiatement une tension. L'auditoire se demande quel pourra bien être notre réponse (convenue, provocatrice, surprenante)
La métaphorisation : « on dit parfois que le mariage est une forteresse assiégée, .... » « la maison brule mais nous regardons ailleurs ». L'intérêt de la métaphore, ou de l'image, c'est qu'elle marque les esprits en faisant naitre une représentation mentale qui va susciter de la curiosité.
La suspension filée : « j'aimerais,, ce soir vous parler d'un objet. Un objet si ordinaire, si anodin, si quotidien qu'on en oublierait presque qu'il est là, quelque part. Et pourtant c'est grâce à lui que nous sommes rassemblé ce soir.... Je veux parler du tire bouchon, oui le tire bouchon parce que.... » il s'agit de parler de quelque chose sans préciser, dans un premier temps de quoi il s'agit. Ainsi nous distillons, mystère, suspens et curiosité dans l'esprit de nos auditeurs. Or l'effet ne fonctionne que si la chute est inattendue, et à condition de ne pas faire durer le suspens trop longtemps, sans quoi il y aurait un risque d'essoufflement.
La suspension simple : « 3 secondes (silence), 3 secondes, voilà la cause de notre malheur (silence), oui trois secondes c'est le temps qu'il a fallu pour ..... (explication) ». version courte de la suspension, dans laquelle nous commencçon par citer une une donnée, une date, une personne, un objet... mais sans explique à quoi cela correspond.
La narration : « chers amis j'aimerais vous raconter une histoire... »
La contre intuition : « je déteste le bonheur.... » l'accroche par contre intuition consiste à introduire notre disours de manière paradoxale, en disant par exemple l'inverse de ce que l'on est sensé démontrer de sorte à créer la surprise et la curiosité.
De nombreux autres procédés que nous ne détaillerons pas ici sont présentés dans l'ouvrage de Clément Viktorovitch, tels que la provocation, l'appel à l'imaginaire, la question directe au public, l'humour, la description.
La péroraison
Conclure son intervention est tout aussi crucial. Il faut marquer les esprits des auditeurs afin qu'ils se souviennent de nous. Ce moment du discours doit être caractérisé selon Clément Viktorovitchpar deux éléments, la saillance et la résolution.
La saillance : façonner un passage remarquable détonnant, distinct du reste de l'intervention. le but est de produire de l'enthousiasme chez les auditeurs, de marquer leur mémoire.
Les procédés pour créer de la saillance : le crescendo, les hyperboles, les métaphores, les répétitions, mais aussi les assonances, les références mobilisatrices, etc...
La résolution : Une fois l'auditoire emporté, il faut marquer un point final avec clarté, savoir refermer. C'est de cette manière que les auditeurs comprendront intuitivement que le discours prend fin.
Les procédés pour la résolution : l'anaphore (le changement c'est maintenant), l'énumération ternaire (veni, vidi, vici), l'opposition binaire ou appel à prendre position (de quel coté êtes vous... ?), etc...
L'inverse de la situation de résolution c'est le fait de conclure son discours par un simple « Voilà ! » par lequel on se sent obligé d'indiquer à l'auditoire que le discours se termine.
Les familles d’arguments⚓
Les arguments d’autorité
recouvrent tous les procédés qui consistent à mobiliser une autorité, positive ou négative, acceptée par l’auditoire et adhère à l’opinion que l’on propose ou que l’on critique. Plusieurs types d’autorité : par la compétence (scientifique, technique, morale ou professionnelle) , par l’expérience, par le témoignage
Les arguments de communauté
Ils font appel à des valeurs et croyances partagées par l’auditoire et contenant déjà, en quelque sorte, l’opinion qui est l’objet de l’entreprise de conviction
Les arguments de cadrage
Ils consistent à présenter le réel d’un certain point de vue, en amplifiant par exemple certains aspects et en en minorant d’autres, afin de faire ressortir la légitimité d’une opinion. Le cadrage devient manipulation si l’on dissimule à son auditoire les aspects que l’on minore.
3 types
La définition :
il ne s’agit pas de proposer une définition objective d’un phénomène, mais bien d’insister sur l’aspect qui semble déterminant pour le caractériser. Elle commence souvent par qu’est ce que…un crime, etc..
(regroupement, rapprochements) ex : le tabac est une drogue dure. Le terme associé doit rencontrer un écho dans l’auditoire
On distingue deux aspects d'un problème pour relativiser : Ex : responsable mais pas coupable
Les arguments d’analogie
Ils mettent en œuvre des figures classiques, comme l’exemple, l’analogie, la métaphore en les dotant d’une portée argumentative. L’analogie à un fort poids suggestif, frappe l’imagination, créée de la surprise
La négociation⚓
Tout comme la rhétorique, la négociation vise à résoudre des désaccords.
Rhétorique = art de convaincre ≃ processus de résolution des désaccords par alignement des préférences.
La négociation permet la résolution des désaccords par l’alignement des positions, alors même que les préférences restent divergentes.
compromis et consensus
Le compromis c’est parvenir à trouver un terrain d’entente malgré des positions divergentes. Le compromis suppose la plupart du temps un renoncement à une partie de sa position pour trouver un moyen terme à mi-chemin entre deux propositions antagonistes.
Le consensus au contraire, est une solution qui satisfait tout le monde sans renoncement. Ce n’est plus un moyen terme mais souvent un troisième terme qui met tout le monde d’accord.
Exemple : Compromis
Nous trouvons sur une annonce de vente en ligne une annonce de guitare d’une grande rareté au prix de 1000€ . C’est trop cher, pour nous le juste prix aurait été 600€, mais nous savons également que l’occasion ne représentera plus jamais. Nous contactons le vendeur et, de mauvaise grâce, consentons à lui payer 900€. Nous nous sommes entendu sur une position commune. Pourtant les préférences de chacun restent inchangées : l’un de nous aurait préféré vendre plus cher, l’autre acheter moins cher. Nous avons résolu notre désaccord en atteignant un compromis et non pas un consensus.
Exemple : Vers le consensus
Notre compagne ou notre compagnon désire passer la soirée au restaurant. De notre côté, nous avons plutôt envie de rester tranquillement dans notre appartement. Au gré de la discussion, notre interlocutrice ou interlocuteur nous rappelle que le voisin du dessus organise justement, ce soir-là, une fête en l’honneur de son vingtième anniversaire. Soudain nous nous imaginons pestant dans notre canapé contre cette jeunesse braillarde et sa musique assourdissante… et nous nous rangeons à la sage proposition d’aller se réfugier au restaurant.
Nous avons été convaincus, nous avons résolu notre désaccord en parvenant à un consensus
Notre compagnon ou notre compagne est donc parvenu à nous convaincre de passer la soirée au restaurant. Nos préférences se sont rapprochées. Mais elle ne sont pas encore parfaitement alignées. Il s’avère qu’elle ou il voudrait dîner dans un restaurant japonais, quand nous aurions plutôt envie de manger italien.
C’est ici que s’arrête le consensus : aucun argument au monde ne pourra nous convaincre que nous aimons le poisson cru. Nous trouvons finalement un compromis : ce sera une soirée dans un restaurant fusion servant à la fois des sushis médiocres et des pizzas quelconques.
La rhétorique nous a permis de rapprocher autant que possible nos préférences, jusqu’à ce qu’elle bute sur une divergence irréconciliable d’intérêts, de valeurs ou, en l’occurrence de goûts. Nous avons alors recours à la négociation pour combler le fossé séparant encore nos positions.
Pour finir, alors que nous étions presque résolus à ce dîner sordide, l’un de nous a une idée soudaine : et si nous en profitions pour tester ce fameux restaurant libanais, qui nous a récemment été recommandé ? Aucun de nous n’y avait pensé. Mais une fois la proposition lancée, nous réalisons qu’elle nous satisfait tous les deux parfaitement. Davantage même que nos préférences initiales.
Dans ce cas idéal, le compromis fait consensus.
La différence entre négociation et rhétorique disparait
Rhétorique et négociation
Rhétorique et négociation ne cohabitent pas nécessairement :
Il existe des négociations financières, notamment, qui n’intègrent aucune dimension argumentative et se résument à de simples échanges de chiffres.
A l’inverse, certaines situations rhétoriques, par exemple un discours devant une assemblée silencieuse, n’ont strictement rien à voir avec la négociation.
L’une et l’autre se retrouvent fréquemment, mais ne se recouvrent pas entièrement.
Négociation et diplomatie
L’objectif de la négociation est de défendre ses intérêts. La négociation peut être commerciale, obtenir le meilleur prix, la meilleur rentabilité, mais aussi diplomatique. Le diplomate défend les intérêts de son pays à l’étranger.
Négociation et escroquerie
Une bonne négociation n’est pas une arnaque, bien au contraire. Les deux partis doivent s’y retrouver. Un bon vendeur n’est pas un escroc, mais quelqu’un qui sera capable de convaincre son client qu’il est dans son intérêt d’acheter son produit, sans cacher pour autant que lui, en tant que vendeur, en tirera également un bénéfice. Si le vendeur veut que le client revienne, ce dernier doit être content du conseil ou du service qui lui aura été fourni ainsi que de son achat.
La négociation consiste souvent à montrer à son interlocuteur ou se trouve son intérêts là où celui-ci ne l’avait pas perçu. D’un rapport de force, de concurrence entre deux partis qui convoitent la même chose, la négociation peut conduire à une forme de partenariat, de complémentarité dans laquelle chacun des partis y trouve son compte. Dans l’idéal un rapport « gagnant, gagnant ».
Négociation et empathie
L’empathie est la capacité de se mettre à la place de l’autre. Elle est nécessaire à tout bon négociateur pour comprendre le point de vue de son interlocuteur, ses besoins, ses désirs, ses aspirations. Dans une bonne négociation, je ne pourrai satisfaire mes intérêts qu’a condition de répondre aux besoins de mon interlocuteur, quitte à le convaincre que son intérêt n’est peut-être pas là où il le croit. C’est « du donnant, donnant »
Convaincre et manipuler⚓
Dans l’art de convaincre, la rhétorique ou de la négociation utilisent un certain nombre de techniques argumentatives, de ressorts psychologiques ou affectifs pour influencer et donc modifier le comportement d’autrui.
Dans ces conditions, qu’est-ce qui distingue la rhétorique ou la négociation de la manipulation ?
La rhétorique et la négociation comportent aussi leur côté obscur : appel aux émotions, utilisation de sophismes, exploitation de l’implicite, etc.. Autant de procédés qui permettent d’assouplir, de tromper voire de contourner les facultés critiques. Rhétorique et négociation ne sont pas de la manipulation mais elle peuvent être manipulatoires.
Philippe Breton dans La parole manipulée définit la manipulation comme « entrer par effraction dans l’esprit de quelqu’un pour déposer une opinion ou provoquer un comportement, sans que ce quelqu’un sache qu’il y a eu effraction »
La manipulation désigne donc l’ensemble des procédés permettant d’agir sur les opinions, les envies, les idées et les comportements d’une personne, sans que celle-ci en ait conscience, c’est-à-dire en altérant ou en contournant ses facultés critiques. Ce que la manipulation remet en cause, ce sont les conditions mêmes de notre libre arbitre.
La manipulation exploite nos biais cognitifs, qui permettent d’influencer en utilisant les mécanismes automatiques de notre cerveau. Elle utilise aussi les stimuli subliminaux, images, odeurs, son subreptices captés par les sens, sans que nous en ayons conscience.
Ce qui distingue la rhétorique de la manipulation c'est qu'une grande partie des procédés rhétoriques ont pour but, non pas de contourner, mais de triompher des réticences de l’esprit critique. Il est donc possible d’apprendre à « convaincre sans manipuler » selon Philippe le Breton
On quitte le champ de la rhétorique pour entrer dans celui de la manipulation dès que le discours procède par dissimulation, mensonge. L'argumentation rhétorique tente d'influencer le jugement d'autrui en privilégiant certain aspect plutôt que d'autres mais elle ne les dissimule pas. La rhétorique ou la négociation peuvent utiliser la séduction, mais n'exercent pas pour autant, une pression (chantage ou coercition) sur le sujet qu'elles cherchent à influencer.
Contrairement à la manipulation l'interlocuteur conserve sa capacité de choix, de libre arbitre. Le choix ne lui est pas imposé par une contrainte psychologique ou physique et l'interlocuteur dispose des toutes les données nécessaires pour prendre sa décision.
Or malgré ces distinctions, nous le verrons (cf. chapitre mauvaise fois et arguments fallacieux), la frontière entre rhétorique, négociation et manipulation est malheureusement souvent poreuse.